Pour préparer l’avenir, celui un
peu lointain, disons trente ou cinquante ans, rien de pire que
commencer par la raison, la logique : on s’enferme alors dans
l’évidence, le connu, les sentiers battus et on refuse de les
dépasser, d’aller au delà, de considérer tant de possibles et
d’impossibles qui ne réussissent plus à effleurer notre esprit.
C’est pourquoi ici à La Zutterie on délire ! Pour aider
l’imaginaire à larguer les amarres.
Je sais, les tenants de l’ordre
établi, quel qu’il soit, se gaussent et proclament pour exclure :
“Il dit lui-même que ce sont des délires !” Ils croient
avoir ainsi tout dit pour déconsidérer l’empêcheur de tourner en
rond. Mais moi je le revendique ce délire : il m’a été si utile
tout au long de ma vie.
Car sans dé-lire, la créativité
reste bien pauvre. Reprenons l’origine du mot. “Lira” en latin
c’est le sillon que trace le laboureur. Pas très fantaisiste : de
l’ordre, de la discipline, on va tout droit… Dé-lirer c’est
donc quitter le sillon, di-vaguer, extra-vaguer, dépasser les
frontières dictées par les traditions, les maîtres, les routines.
C’est se rendre disponible à toutes sortes de chemins éventuels.
Bien sûr, on en peut pas s’arrêter
là, se cantonner au délire. Mais on ne devrait pas s’en passer.
Il suffit de comprendre la séquence : d’abord on délire, on
s’évade du carcan de la raison, on s’enrichit d’autres
apports, d’autres dessins, même s’ils peuvent sembler absurdes,
roucouler un paradis, virer au cauchemar…
Après s’être ainsi nourri, la
deuxième phase est le plus souvent celle des rêves. Certaines des
sentes entraperçues nous font envie ou nous font peur ? C’est en
rêve que l’on revient dessus. D’autres sont oubliées, pour
cette fois peut-être, mais celles qui nous touchent s’emparent de
nos songes nocturnes, de nos songeries éveillées. Elles y prennent
corps, s’y étoffent peu à peu… ou disparaissent.
Celles qui restent peuvent essayer de
passer au troisième stade, celui du projet. C’est là
qu’intervient la confrontation avec tous les “établis” : la
raison ; les savoirs; les pouvoirs, les vouloirs ; les chiffres, les
gros mots qui justifient ; les… Bon, vous connaissez tous ça. De
même que l’âge ultime, le quatrième, celui de la réalisation.
Je ne m’éternise pas.
Ce qui m’intéresse c’est de
favoriser ce que l’on tend à délaisser, à mépriser, à renier,
à sataniser, ou tout simplement à méconnaître, à oublier : ce
point de départ, ce moment où on quitte la cage et on s’adonne au
vol libre, aux dérives, au délire donc.
A La Zutterie, on délire sans cesse.
Je n’y ai aucun mérite : je fais ça depuis toujours. Mais j’ai
aussi envie de partager. C’est pourquoi je vais ouvrir une
délirothèque (rien de nouveau, j’en ai eu en Amérique Latine).
Le premier exercice de délirothèque ouverte à tous (sauf aux
dogmatiques et psychorigides au stade incurable) se fera lors de la
Fête de la Zutterie les 17, 18 et 19 août, aux Fayes, au-dessus du
Perrier, à Valcivières.
Une bonne manière de profiter de
l’ambiance que créeront les Toqués du Piti Monde, en pause chez
moi avant de continuer au Festival d’Aurillac (https:www.facebook.com/LePitiMonde) ; de se reposer
de leurs contes et dé-contes, leurs clowns, leurs musiques, leurs
rires. Et aussi de lancer un délire sympa sur un sujet prioritaire
pour cette fois: notre montagne dans 30 ou 50 ans.
Las Fayas, le samedi 23 juin 2018
(ouf! j'ai même réussi à l'envoyer...)