vendredi 30 mars 2012

16. Le Duster est-il assez pauvre ?



C’était l’inconnue. Hier, sur la route, j’avais fait des courses plus « lourdes » que ces derniers mois. J’espérais qu’en mon absence, la glace aurait suffisamment fondu pour que je puisse monter jusqu’au buron. Sinon, j’en avais pour plusieurs voyages à pied avec mes valises, mes provisions et autres…
Gagné ! Pour la première fois depuis fin novembre, j’ai pu accéder au buron avec mon véhicule !
Perdu ! J’ai passé une bonne partie de la soirée dans mes débats et contradictions !
Après avoir longtemps tergiversé, je m’étais décidé, fin 2010, à acheter un 4x4 pour ne pas avoir à trop porter. Je savais que c’était indispensable mais je ne voulais pas deux véhicules ; or l’âge ne me permet plus guère de grands voyages en tape-cul de petit 4x4 rustique ; or mon portefeuille et mon âme ne m’autorisent pas un gros 4x4 polluant et grand consommateur. C’est l’invention du Duster qui m’a décidé. Rationnellement je ne pouvais espérer mieux.
Un monstre sur ma terrasse!
Rationnellement ? Quel choc effroyable quand, il y a juste un an, je me suis pour la première fois réveillé au buron avec ce monstre devant ma porte ! J’étais effaré ! Qu’est-ce que cette bête neuve et luisante venait faire chez moi? Une verrue sur le buron ! Je l’ai exilé sur l’ancien parking des communaux, pour le voir le moins possible.
Comme il était quand même si pratique et qu’il m’offrait des perspectives de durer plus longtemps ici malgré l’âge, je m’y suis habitué. En tâchant de garder un peu d’autodérision : dans mon journal de l’époque, j’avais baptisé la plateforme d’accès à ma terrasse depuis la voie empierrée du nom de « Autel Duster », un peu comme pour un veau d'or.
En exil...
Et voilà qu’hier soir je pensais à lui avec tendresse et reconnaissance ! Alors que, jeudi dernier encore, en Arménie, j’étais en débat avec les développeurs qui prétendent « lutter contre la pauvreté »… Je reprenais mes arguments comme quoi la misère est inacceptable mais la pauvreté matérielle est non seulement acceptable mais bienvenue car la planète ne supportera plus longtemps l’extension d’un mode de vie basé sur cette idée de richesse et de consommation qui prédomine aujourd’hui. « Je ne lutte pas contre la pauvreté mais pour que tous nous puissions, en pauvreté, valoriser et savourer tant de richesses de vie que nous avons. » C’est ce que j’expliquais. C’est ce que je cherche à vivre moi-même.
Oui mais, et le Duster ? Et voilà que je m’en éprends ! Vous imaginez ma soirée… Qui finalement ne s’est pas trop mal terminée. Je me suis auto-convaincu que je n’avais guère le choix. Et, puisque je n’ai nullement quêté la frime, quel mal à ce que j’y mette la rime ?
C’est ainsi que, ce matin, je me suis éveillé plus serein. Et disposé à goûter à nouveau les joies de cette vie au buron où, précisément, je m’efforce d’avoir une faible empreinte écologique et une énorme réjouissance de nature, un bal de compagnies variées, un bain de diversité rayonnante. La « vraie vie », diraient ou gausseraient certains…
Tiens, j’ai vu que les premiers pissenlits sortent, même ici. Je vais faire ma cure printanière. Le Duster ne m’en empêchera pas !
Las Fayas, le vendredi 30 mars 2012

15. En mars, la vie en tas


Le samedi 17 mars je quittais le buron vers la Champagne natale puis le Caucase. Soudain survint l’envie frénétique de photographier mes multiples tas de bois. Pourquoi envie frénétique ? Parce que je terminais deux longues semaines de frénésie. Dans les bois qui furent prés communaux au-dessus de chez moi, autrefois. Deux longues et savoureuses semaines à abattre, débiter, entasser et nettoyer. A ouvrir le ciel vers l’est et à récupérer un peu plus d’ensoleillement de mes panneaux solaires pour le prochain hiver.
Alors, avant de partir, il me fallait un inventaire et bilan, des images de mon paysage de plus en plus parsemé de tas de bois anciens et récents, de tas de branchages anciens et récents, mais de façon déjà plus ordonnée et efficace.
Les tas anciens sont ceux sur lesquels je comptais pour cet hiver 2011-2012. Il en reste, oui. Entre mes absences et mes économies, j’ai pu tenir et j’ai du rab. J’ai même encore un peu de chêne à l’étage grange-buron.
Ça baisse mais il y en a encore...

Il y a aussi le gros tas bien rangé de hêtre et d’érable qui sera la base de mon chauffage pour l’hiver 2012-2013. Insuffisant bien sûr, mais c’est une garantie.
Et puis il y a maintenant les tas de bouleau de ce mois de mars. Le soleil de fin février avait fait fondre un peu de neige ; des zones étaient libérées, je pouvais y travailler sans trop de danger. Dès le premier mars j’ai essayé la tronçonneuse. Elle a bien démarré. J’étais lancé. Avant que la sève printanière ne commence à grimper dans les troncs, j’ai abattu et abattu. Tout ce dont je me sentais capable de faire le nettoyage avant de voyager.
Bien sûr, j’ai ensuite été retardé par deux jours de nouvelles chutes de neige et l’attente de sa fonte. Je n’ai pas pu finir à temps. Mais quelles semaines ! Je les ai eus ces travaux en extérieur dont l’hiver m’avait privé ! Du matin au couchant. En journées de plus en plus prolongées. En rythme paisible, puisque mon corps m’a réprimandé, mais en émoi intense.
La lumière qui parvenait enfin au sol et aux myrtilles me réjouissait le cœur et me reliait à ceux qui les cueilleront cet été. L’énorme tas de branchages alimentait le rêve de futures sessions en partage autour d’un broyeur pour les transformer en tapis de potagers et autres cultures. Les amas de rondins de bouleaux m’offraient tout un programme de travaux prochains pour fendre et expérimenter un meilleur séchage. Les bonnes branches de sorbier me défiaient à de nouvelles expériences sur leurs possibles utilisations.
Un régal de branchages à broyer...

Chaque tâche et chaque pause étaient ainsi fleuries de pensées joyeuses, de communions avec la nature, mes voisins, mes visiteurs à venir…
Dans la défriche il y a un avant et un après
Mais le pied, c’était quand un recoin semblait assez dégagé (j’ai gardé quelques arbres, pour les oiseaux, parce qu’ils sont beaux, parce qu’on pourrait y accrocher un hamac, parce qu’une ombre est douce pour les pauses et les siestes…) : avec la fourche, avec le râteau à feuilles, avec divers outils, j’essayais diverses techniques pour ramasser tous ces débris de forêt qui pourraient encore gêner le geste auguste des grands myrtilleurs du Perrier, ceux qui récoltent au peigne industriel
Je suis rentré hier soir. Demain je m’y remets…
Las Fayas, le vendredi 30 mars 2012