Quand a-t-elle vraiment commencé cette vague de neige et
de froid ? Impossible de faire le décompte des jours. Quand on aime, on ne
calcule pas. Je sais que c’était lors de la dernière décade de janvier mais je
n’ai pas mesuré, je me suis simplement adonné aux sensations paisibles du
bien-être hibernant.
Combien de neige est-il tombé ? Là aussi je n’ai que
du ressenti mais point de mesures. D’aucuns me commentent les commentaires qui
circulent : beaucoup plus d’un mètre ; du pas vu depuis dix ans… Mais
j’ai rapidement abandonné mon ruban métrique et j’ai cessé de
centimétrer : presque tous les jours je voyais voltiger la poudreuse mais
comment savoir ce qui tombe du ciel et ce que le vent décolle des arbres ou du
sur-sol ? Au petit matin je pouvais avoir à enjamber très haut devant ma
porte sans pouvoir déterminer ce qui n’était que congère et ce qui relevait
d’un nouvel apport. J’ai préféré me repérer aux perceptions vivantes, par
exemple les mouvances de mes images du pré en dessous puisque la base de mes
tracés s’élevait et rehaussait ma vue. Parler de neige seule ne veut rien dire,
il faut l’associer au vent ; et il était bien présent !
Et puis, cette année, j’ai délaissé le perçage de tunnels
de fenêtres pour que la lumière atteigne mes pièces, sauf pour la salle de vie
évidemment, car finalement la neige est un isolant additionnel, mais j’ai perdu
un élément de comparaison. En tout cas la chambre matrimoniale du bas n’a
jamais été dans le noir. Donc : rien d’exceptionnel.
Jusqu’où la température est-elle descendue ? Là non
plus je ne peux guère préciser. Mon grand thermomètre extérieur ne marque pas
les minimas et je ne me suis guère levé avant la clarté. Les soirées
bouquinantes se sont prolongées peu à peu et au réveil l’obscurité me faisait
replonger dans le sommeil ou dans le rêve. Je me suis contenté de vérifier que
les moins dix duraient et que la nature aurait bien le cycle de grand gel
qu’elle semble apprécier. Mon intérieur était chaud, parfois trop pour moi, et
pour les extérieurs c’est surtout le vent qui peut métamorphoser une froidure
revigorante en gelure paralysante.
Alors voilà, nous l’avons eu la vague de neige et de
froid qui signe « un vrai hiver » mais je ne peux pas le démontrer
avec les chiffres du rationnel et du scientifique. Je préfère le scientifoque de
la démesure et là je peux vous le dire : qu’est-ce que je me suis
régalé !
Le plaisir était double. Pour moi, j’avais l’isolement et
les douceurs d’un ermitage libéré des angoisses de la survie. Et le paysage se
parait des couches et couleurs qui à présent peuvent ravir les visiteurs en
quête de ski, de raquettes et de veillées au coin du feu.
On aurait presque pu croire que cette fois c’était la
nature qui s’était adonnée à la rigueur des calculs : les vacances d’hiver
ont commencé samedi et vent et froid se sont justement calmés pour agréer les
arrivants ; dimanche le soleil a fait son apparition et un vent forcené a
décoiffé les arbres de leurs couettes blanches avant qu’elles ne tombent sur
les promeneurs ; ce lundi ensoleillé est d’une splendeur émouvante,
attirante, ravigotante.
C’est sans doute pour cela que ce matin je me suis
enfermé le plus possible à l’intérieur : pour profiter de mes batteries
solaires qui rechargent l’ordi ; pour pondre les messages d’internet à
nouveau accessible par des chemins fréquentables ; pour me prémunir contre
l’excès d’euphorie du beau, de l’émerveillant ; pour retarder le moment de
retrouver un monde déshiberné ou du moins m’y préparer en infusant mes émois
dans ce blog.
Souvenir des dernières couleurs d'automne, en octobre: le merisier |
Comme quoi c'est bon pour hiberner... |
Las Fayas de Valcivières le lundi 9 février 2015