Il a bien fallu renfiler les habits d’hiver : la
chaleur n’a guère duré ; la grisaille et le froid sont là. Non, je ne
parle pas du buron, dont je suis pourtant les transes climatiques à distance,
mais du Pérou qui m’accueille depuis maintenant près d’un mois.
Je suis à Lima, l’étrange capitale que les brumes
côtières pôlarisent six mois par an et qu’une croissante voracité de
consumérisme dévoie rapidement sous les hurlements d’un modernisme qui me
semble pourtant bien rance. J’y suis revenu depuis mercredi soir. La chaleur, c’était
avant, en Amazonie.
Plusieurs fois j’y ai essayé d’écrire ce billet et je ne
pouvais pas, baigné que j’étais d’émotions diverses et vivifiantes au parfum de
souvenance. Je me laissais porter par les flots de sensations douces de retours :
retour sur mes propres pas, près de quarante ans après ; retour vers des
lieux où subsistent encore quelques ilots de vie en nature. Je devais témoigner
mais je ressentais toutes formes de registre, tant les notes que les photos et
les enregistrements, comme une outrance perturbatrice. Je m’y astreignais quand
même, un peu, guère.
Evidemment c’est le voyage vers le Haut Ucayali qui m’a
le plus marqué. Treize heures de chaloupe pour remonter le fleuve à l’aller, neuf
heures au retour, ça marque, surtout que ça me manquait. Il y a trop longtemps
que je n’avais plus l’aise de voyager de cette manière sur les fleuves
tropicaux ; cette fois je pouvais savourer la différence par rapport aux navigations
plutôt touristiques des dix dernières années.
Le bruit du moteur annule toute tentative de
conversation. Les rives trop éloignées ne retiennent pas le regard qui dérive
sans s’accrocher. Les nuages bas et souvent noirs estompent les reflets de l’eau.
On est seul avec toutes sortes de pensées et de sentiments inspirés par des
images que l’on n’a même pas conscience d’avoir entraperçues. C’est dans tous
les sens du terme que le fleuve vous emporte.
Par contre ce sont les trajets en pirogue sur les petits
affluents qui m’ont le plus réjoui. Là, ce n’est plus l’immensité qui domine, c’est
la profusion, la densité de vie dans les eaux, sur les eaux, sur les berges,
dans la forêt que l’on devine et que l’on entend, dans les airs. Le coeur
chavire sous le déferlement et oublie que la pirogue surchargée pourrait bien
chavirer elle aussi. De toute façon les eaux sont basses à présent, on aurait
pied, et on admire plutôt l’art du pilote et de son « pointeur » qui
slaloment entre les sables et esquivent les palissades de troncs entremêlés.
J’avais pensé que mes émois seraient surtout tournés vers
la forêt elle-même et vers les villages indiens que je devais rencontrer mais
ce sont d’abord les eaux qui m’ont accaparé, m’offrant du temps un paysage
apaisant, si éloigné de l’urgence ambiante dès que l’on réfléchit aux
destructions galopantes et aux mirages du développement, si proche par contre
de mon buron d’Auvergne où je prends le temps de vivre le temps.
C’est ainsi que, contre toute attente, je n’ai eu aucune
nostalgie de mon buron. J’étais chez moi, dans la vie et hors du monde. J’étais.
A présent je suis à Lima et je regrette un peu de ne pas avoir
mis quelques images en boîte pour vous les partager. J’aimerais également vous
raconter quelques aventures car tout ne fut pas que contemplation. Mais je
crains que cela ne submerge et n’enfouisse les relents de délectation qui m’enivrent
encore.
Lima-Pérou, le samedi 29 juin 2013
Comme c'est drôle, hier soir sur France Inter vers 17h dans ma voiture en sortant du boulot, j'écoute un reportage sur l'Amazonie et l expédition Mapaonie. C'était en pirogue sur le Jari à la recherche d'une borne marquant la frontière entre le Brésil,le Surinam et la Guyane française. Ca m'a fait rêver et voyager et vous voici aujourd'hui racontant vous aussi un autre voyage en pirogue...
RépondreSupprimerAmicalement de France...