Ah, ces jeunes ! Quelle race ! Et je ne suis
pas raciste mais… Un peu d’apartheid fait du bien parfois ! Non ?
Imaginez, nous on est déjà un peu dans l’apartheid. Entre
nous, les voisins, on parle beaucoup de retraites, de fin de vie. Quand on
touche à la jeunesse, c’est de la nôtre qu’il s’agit, en souvenirs qu’on vante
ou qu’on tait pour mieux les savourer sans en être dérangés. On fait bien un
peu semblant de s’intéresser aux jeunes d’aujourd´hui, à leurs projets et à
leurs devenirs, mais surtout on plaint leurs déboires et on se plaint des aides
qu’on est obligés de continuer à leur apporter. Au moins, ils sont loin. Sauf
que… là, en à peine cinq jours, je viens d’en avoir eu deux qui sont venus
foutre leur merde alors que j’étais peinard et que je n’avais rien demandé.
D’abord ce fut Teresa, une franco-latinoaméricaine que
j’avais accepté d’aider dans ses réflexions sur comment présenter dans un
documentaire ses images et ses tendresses rapportées de la région de Cotahuasi dans
les Andes. Le film terminé elle m’a invité à Paris pour me le montrer. Eh bien,
comme je ne supporte plus guère les villes, elle a débarqué ici vendredi pour
deux jours !
Pour mieux voir, fallait attendre la nuit. Alors elle
s’est mise à me raconter ses voyages, ses rencontres, ses émerveillements dans
le sud du continent américain. J’écoutais et je me transportais gentiment car
je connais beaucoup de ces lieux et de ces gens, même si ce ne sont pas
toujours exactement les mêmes. Au soir elle a sorti son ordi et son
court-métrage et m’a repu de vues, de vies, de dits, de tout. A la nuit je
n’étais plus aux Fayes, mes rêves dérivaient furieusement là-bas.
Alors, le lendemain, en réciprocité, j’ai voulu lui
montrer mes Andes de France. Comme j’ai découvert qu’avec les bâtons je peux
marcher moyennement à nouveau, nous sommes partis en balades proches. Mais
voilà qu’entre mes émois andins de la veille, le fait de pouvoir vivre et
parler en espagnol, les retrouvailles avec des recoins que je ne visitais plus
guère, c’est sans doute moi qui ai été le plus émerveillé par l’extraordinaire
diversité d’ambiances et de paysages, dans le mosaïque créé par les prés, les
parcelles abandonnées, les régénérées, les plantées, et sillonné par un réseau
très dense de chemins empierrés, tout cela dans un espace réduit. Partout je
retrouvais les lutins et les fées, comme dans les Andes, comme à mes débuts
ici. J’étais chamboulé.
Toutes les photos sont de Teresa Reyes |
Je commençais à m’en remettre quand hier mardi c’est
Antoine qui a surgi. Oh, pas physiquement, par internet. Il m’envoyait son
mémoire de master. Comme c’était sur les origines de la « capitalisation (pouah !)
d’expérience » et que c’est de ma connaissance, j’avais accepté de le
recevoir ici en mars et nous avions passé quelques heures sympas. A présent
c’était… cent-cinquante pages… style académique en plus ! Pas du polar
pour sûr…
Je m’y suis mis l’après-midi : faut toujours
vérifier qu’on n’a pas été trop trahi ! Mais voilà qu’il me présentait des
ancêtres, ici et en Amérique Latine, que je méconnaissais ou que j’avais
oubliés. J’ai parcouru un peu puis : « Salaud ! Faut que je lise
tout ! » Pour la première fois depuis des années je me suis tapé un
texte universitaire jusqu’à… deux heures du matin. Et j’ai apprécié.
Mais, ce matin, faut pas me parler des jeunes. Avec eux
on ne peut pas être tranquille, s’adonner aux routines de la vie d’ermite,
laisser s’écouler les heures et les jours. Faut que ça bouge !
Et ça m’a bougé… En fait, les jeunes, si on n’en abuse
pas, c’est pas mal. C’est pas mal du tout même. On en redemanderait presque.
Enfin, à petites doses quand même…
Les Fayes de Valcivières, le mercredi 14 mai 2014
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