Première
neige ce matin. Des sentiments mêlés. La joie de retrouver cette luminosité
particulière quand la blancheur extérieure irradie mes intérieurs, même sous
les brumes. La tranquillité d’avoir, ces deux derniers jours, multiplié les
allers en ville pour m’approvisionner d’hiver. L’émoi des spots à led et piles
qu’hier j’ai commencé à poser un peu partout et qui éclairent à présent mon
coin cuisine, ma chambre et divers autres points de la grange ; j’ai même
de la lumière au dessus du lavabo, donc un miroir utilisable, et je pourrai me
raser, peut-être…
Mais aussi
l’angoisse de ma brouette magique en panne chez un voisin et que, seul, je ne
peux ni réparer ni transporter. Le retard à remplir l’abristophe en bois de
chauffage, surtout le fayard trop éloigné pour le transporter à la main. Le
doute sur la durée de ce coup de froid : débuté en nouvelle lune,
tiendra-t-il un demi-tour de satellite ou s’effilochera-t-il très
bientôt ; puisque plusieurs jeunes doivent venir demain en stop depuis le
sud, il me faudra aller les chercher quelque part ; tout à l’heure j’ai eu
bien du mal à remonter le Duster pour le conduire sur le plat de la voie forestière.
Surtout,
ces gelées précoces ont accéléré la chute des feuilles, les arbres se sont bien
déplumés et le plus beau de l’automne vient probablement de s’envoler. Nous
étions pourtant à l’un de ces moments, brefs mais intenses, les plus féériques
de l’année. Au sol la guerre des roux faisait rage entre myrtilles, repousses
de sorbiers et certains champignons. Au-dessus, les ramures lançaient leurs
éclats de couleurs si variées selon les essences, si changeantes de jour en
jour. Ah, la splendeur écarlate des merisiers, l’or doux des érables, l’or brun
des fayards, la mosaïque aérienne des bouleaux !
Les heures
les plus émouvantes étaient celles de fin d’après-midi quand le soleil dardait
des rayons presque horizontaux qui exaltaient la végétation. Grâce à mes élagages
je pouvais mieux contempler ce ballet chatoyant, un peu comme un mirage qui
scintille entre terre et ciel et embaume les sens.
D’ailleurs
je crois bien que ce spectacle a été ma principale thérapie pour retrouver mon
être et mon énergie vitale lorsque je suis rentré d’une quinzaine en tournée de
familles entre Normandie et Champagne : j’arrivais mal à rétablir
l’harmonie avec la montagne… jusqu’à ce que je m’abandonne aux ébats de
l’automne et de ses coloris. On dit que la thérapie chromatique ça existe !
Alors,
aujourd’hui, j’essaie de me remémorer quand elle a vraiment commencé cette fête
d’après l’été. J’ai un indice à retrouver : quand la chute des premières
grosses feuilles d’érable m’a-t-elle fait sursauter, me retourner vivement en
croyant que quelque homme ou animal approchait dans mon dos ? Car ce n’est
qu’au début, ensuite on s’habitue à ce bruit.
Je ne me
souviens pas précisément mais peu importe ; me voici ramené deux ans en
arrière. Je commentais ces sursauts à mon voisin Jean-Baptiste et il a eu alors
cette exclamation mi-railleuse, mi-poétique : « Le vacarme des
feuilles mortes ! » Elle m’est restée car elle me donnait un repère
pour comprendre que l’automne avait démarré et surtout parce qu’elle m’offrait
une image simple et très expressive pour décrire la vie ici.
Dans ce
« vacarme des feuilles mortes » tout est dit sur l’habituelle
quiétude sonore de ces lieux, sur les partages de nature en ce versant
montagneux diversifié, sur la paix active des jours et des heures entre les
foules d’êtres multiples qui l’habitent, également sur la densité accrue des perceptions
lorsqu’un soubresaut éclate et souligne ou perturbe les jeux de sérénité.
Las Fayas de Valcivières, le jeudi 15 octobre 2015
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RépondreSupprimer... et pas de photos de tout ce roux bientôt saisonniquement disparu ?
RépondreSupprimerDésolé Gérard mais je deviens un peu photophobe... ou plutôt c'est que mon appareil déconne encore plus que moi.
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