On ne décrit pas Les Fayes. Enfin, si, on pourrait, mais
pas moi. Je suis trop pétri par les multiples émotions qui ici me nourrissent
pour pouvoir me détacher, prendre du recul, observer, analyser, expliquer. Et
je n’en ai guère envie. Même, aucune de mes photos ne peut exprimer l’émoi.
Car ce n’est pas n’importe quelle émotion, c’est celle de
la vie. Des vies que je rencontre. Celle d’une nature en pleine recomposition
et celle d’une société rurale elle aussi en pleine recomposition. La mienne
également.
Nature est mère de mes moments les meilleurs et les plus
privilégiés lorsque je me pause (tous les prétextes sont bons, toutes les
heures sont bonnes, tous les climats sont bons) et j’entre en état d’accueil.
C’est alors que me rejoignent les images de paysages montagnards auxquels les
Andes m’avaient initié et qui s’étendent au loin avec leurs reliefs et leurs
hameaux ; les jeux tendres ou violents de l’air et du ciel ; les
caresses d’une végétation foisonnante d’herbes, arbustes et arbres qui se
diversifie pour m’enrober ; les éclats de couleurs, de chants et de
pirouettes de toutes sortes d’oiseaux. Je suis même en train d’apprendre à
m’ébaubir des insectes, leurs formes extraordinaires, leur musique, leurs
parures, leur agitation.
La réduction des populations et des activités pacagères a
bouleversé ce lieu et cette vie de nature. Par remplacement puisque depuis
cinquante ans bien des terrains furent plantés en sapins. Par abandon puisque
les prés non pâturés ont buissonné en genêts et myrtilles ou bien se sont
arborisés d’espèces autrefois assez rares comme les bouleaux, les sycomores,
les alisiers. Tout un processus encore en cours dont je peux contempler les
différentes phases depuis mes terrasses.
C’est bien sûr la vie des anciens que je partage chaque
jour. Dans leurs murs qui m’hébergent et dans leurs oeuvres les plus diverses,
spécialement celles qui amenaient ou drainaient l’eau et celles qui
empierraient les chemins pour pouvoir y circuler. Jusqu’à présent je les entends
aussi vaquer aux travaux du bois dont on chauffe les maisons et bientôt je les
y rencontrerai.
Les vies d’anciens que je côtoie sont surtout celles de
disparus ou de retraités. Et il y a celles des moins anciens habitants qui, en
vagues successives depuis quarante ans, se sont installés sur la commune pour y
demeurer, y réaliser leur labeur et y savourer certaines émotions semblables
aux miennes. Ils sont présents dans mes murs qu’ils visitent ou qu’ils égayent
de leurs arts.
Les vacances apportent encore d’autres vies : celles
des buronniers, qu’ils soient mes proches voisins des Fayes ou ceux guère
éloignés des Chaumettes, tous accros à ces ambiances, tous différents entre
eux ; celles des randonneurs qui ne sont que passants mais que j’aime saluer
quand je le peux et pour qui j’adore nettoyer ou embellir notre recoin afin que
leur plaisir avive les émois de nature.
Enfin il y a l’intense émotion de ma propre vie qu’ici je
réunis pour la première fois depuis si longtemps, conjuguant la France et les
Andes, alternant la brouette et le clavier de l’ordi, essayant les
apprentissages de survie que l’on devrait acquérir enfant et le détachement qui
devrait venir avec l’âge, dégustant les saveurs de la solitude et goûtant la
fête des visites et des rencontres.
Intense émotion, oui, celle de me sentir devenir plus
complet, presque un homme.
Les Fayes, le 2
juillet 2011
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