vendredi 27 avril 2012

18. La vraie solitude, c’est celle du consultant



Souvent je ressens chez les autres un certain trouble face à mon goût de la solitude en buron d’Auvergne. Je m’essaie alors à comprendre un peu mieux qui je suis, le pourquoi de cette tendance.
La première explication qui me vient est généralement l’entraînement vécu à la ferme natale, en Champagne. Elle était isolée et je n’y ai guère développé le sens des relations. Bien sûr, entre parents et enfants nous étions onze, mais déjà ma nature me portait à me mettre à l’écart, à vivre beaucoup dans ma tête, dans mes rêves et mes délires.
Une autre piste qui sourit à mon esprit c’est que depuis plus de quarante ans je suis devenu « étranger ». En Amérique Latine bien sûr où j’ai passé le plus clair de mon temps, mais en France également puisque j’étais devenu tellement « autre » que je ne m’y reconnaissais pas, qu’encore je ne m’y reconnais guère.
Aujourd’hui je viens de découvrir une vraie raison. Elle m’est tombée dessus alors que je me traînais dans mon appartement, à La Paz, incapable d’écrire le rapport attendu parce que je ne réussissais pas à atteindre ce degré extrême de concentration qui me permet de dire et non pas de faire du simple remplissage : ¿comment pourrais-je me sentir seul au buron alors que j’ai passé tant d’années dans une des pires sortes de solitude, celle du consultant qui navigue de pays en pays, d’hôtel en hôtel ?
Le Caucase où je suis autiste semblait vraiment extrême. La Bolivie allait-elle me régénérer en plus de m’offrir un quotidien en espagnol ? En fait, il ne s’agit pas seulement de la Bolivie. Pour pouvoir y venir j’ai accepté d’être évaluateur et aujourd’hui la solitude du métier m’a pris dans ses serres et m’a étouffé. Quand j’ai enfin, cet après-midi, abandonné l’obsession de la feuille blanche et remis à demain, c’est au buron que je me suis évadé…
Au départ je craignais de ne pas être capable d’y travailler. Les conditions rustiques n’étaient pas évidentes. Devrais-je me remettre à la machine à écrire faute d’énergie pour mon ordi ? Valait-il la peine d’acquérir un bon fauteuil de bureau pour supporter les sessions fessières ? Et voilà qu’au contraire le buron est devenu mon lieu préféré pour écrire. Pourquoi ?
Parce que je n’y suis pas seul. Parce qu’il me suffit de sortir pour entrer en partage avec la nature, avec le milieu, avec les éléments, et de m’y ressourcer. Oh, je savais bien qu’il n’est pas pire solitude que celle de la ville, du moins pour celui qui n’y est pas entraîné, qui n’en a pas la fibre. Mais je ne m’attendais pas à me laisser surprendre par l’intensité d’une telle souffrance.
Mais bon, demain je quitterai la ville. Pour aller dans une autre, Cochabamba, mais cette fois j’y serai en famille, en partages, en complicités. J’y rechargerai mes batteries aux sources de l’amitié, des valeurs communes, des parcours de vies qui se croisent et se rejoignent depuis des décennies maintenant. Et la semaine prochaine ce sont ces présences ravivées que je rapporterai aux Fayes et qui m’y accompagneront.
Dire qu’aujourd’hui je devais écrire sur des histoires de gestion du risque de catastrophes naturelles et sur le changement climatique ! Rodrigue, qui l’eût dit ?
La Paz, Bolivie, le vendredi 27 avril 2012

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire