mercredi 4 mars 2015

Mon bouleau Révérence

C’est fini. Hier encore je le montrais à mes hôtes nantais, prosterné vers ma porte-fenêtre du nord. Avec les pluies d’hier et de la nuit, ce matin il s’est redressé et ne me gratifie plus que d’un vague salut. Il approche le temps où la sève s’éveillera, où les feuilles bourgeonneront puis étaleront leurs plumets, où sur ses ramures prolifèreront insectes et chenilles, attirant les oiseaux, où l’activité bouleversera l’intimité. Lui, il commence à s’y préparer.
Déjà une certaine nostalgie m’imprègne doucement. Je sens que bientôt, lorsqu’au lever j’ouvrirai mes volets intérieurs, j’oublierai de le chercher des yeux pour l’honorer. Il se confondra dans la masse boisée et sans la révérence il perdra son évidence. D’autres compagnies déshibernées solliciteront mes sens et mes attentions.
Cependant je sais que le lien que nous avons tissé cet hiver-ci est plus fort et durable qu’autrefois, très différent même car j’ai accueilli sa requête qu’avant je n’entendais pas vraiment et j’ai ressenti ce qu’il m’offrait si je le laissais vivre, une amitié à la fois paisible et festive.
Les bouleaux révérence foisonnent dans mon entourage, surtout cette année où une neige lourde a ployé bien des têtes jusqu’au sol puis, en gelant, les a bloquées dans son piège. A tel point que je circulais le sécateur à la main afin de pouvoir rouvrir un passage dans les barricades qu’elles dressaient sur toute la largeur des voies principales.
Par sa proximité et son orientation respectueuse, celui-ci m’amusait spécialement. Mais il était condamné. Poussé dans le bas du grand champ communal qu’arbustes et arbres ont reconquis progressivement depuis que les chèvres n’y broutent plus et que, bon an mal an, j’essaie d’éclaircir afin que la lumière féconde et mûrisse les myrtilles, il était sur la liste de mes élagages et abattages à venir : trop incliné pour les quêtes d’ensoleillement et trop proche du chemin pour que ses racines ne risquent de disjoindre l’empierrement.
A présent il est sauvé, de moi du moins. Je puis témoigner que ses plongeons ne cherchent guère à gêner le transit, que ses racines sont trop éloignées pour empiéter, que ce recoin a peu de myrtilles à offrir. Et, surtout, il m’a conquis, il a réussi, hiver après hiver, à créer le lien, à devenir « lui » et non pas « un des… ».
C’est ce matin que son identité s’est pleinement révélée à moi lorsque j’ai découvert qu’il allait me manquer, que j’allais attendre l’autre hiver pour le retrouver. Du coup je caresse un projet nouveau : choisir sa sève, dès qu’il sera assez gros, pour mes cures de printemps. Ainsi nous pourrons mieux cultiver notre compagnonnage, nos partages, nos réjouissances.
Durant mes onires de cette hibernation je m’amusais à lancer un défi aux botanistes : ces « bouleaux révérence » sont trop singuliers, ne formeraient-ils pas une espèce en soi au sein des bétulacées ? ne le mériteraient-ils pas puisque leurs courbettes ne peuvent indifférer ? A présent je m’en fous, j’ai « mon » bouleau révérence, mon révérant.
Ce « mon » se fait miel dans ma bouche, il n’est pas celui d’un propriétaire anxieux de possession (d’ailleurs lui vit sur les Communaux), il est celui d’un ami, d’un frère, celui de l’affection. Celui qui surgit lorsque le paysage environnant devient relation et émotion.
Et puis, là, il y a un plus : c’est quand même vers moi qu’il se prosterne en hiver !

Las Fayas, le lundi 2 mars 2015

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