Hier midi,
héroïque, j’ai mis ma cape de pluie et je suis allé jusqu’au Perrier, où est
garée ma voiture en fin de bitume, vérifier l’état des chemins par lesquels je
pourrais passer avec Caucase, ma brouette magique à moteur et à chenilles, afin
de descendre les poubelles de l’hiver et de m’offrir une grosse remontée de
provisions et surtout de lessives. Ça m’a semblé jouable même si le gros canard
au-dessus de la sapinière est encore difficilement franchissable : il
reste trop de neige durcie pour bien accrocher mes transports. Le ciel étant
annoncé comme devant se dégager à partir de lundi soir, je me suis motivé pour
un programme de sorties.
Ce matin,
après une nuit de grand vent et saucées persistantes, voilà que les prévisions
météo ont changé : de l’eau en flocons ou en gouttes jusqu’à la fin de la
semaine ! Donc retour aux sessions d’intérieurs.
Je ne suis
pas surpris mais en même temps je m’étonne de mon manque de frustration, de
cette acceptation paisible. Il y a deux ans, quand l’hiver s’attardait,
multipliait ses rebondissements, la lassitude m’avait gagné, quelques ondes de
déprime m’avaient assailli. Alors que cette fois je m’attendris presque devant
cette si parcimonieuse éclosion du printemps, ces alternances ; je
découvre qu’il existe une autre saison, le pré-printemps, un transit au ralenti
où chaque jour apporte un nouveau signe, pas comme l’explosion soudaine de
certaines contrées, de certaines années.
Je ne suis
pas surpris car je sais que c’est en moi qu’il se situe le changement :
j’ai avancé un peu plus sur deux voies parallèles et complémentaires de
l’ermitage heureux, réserves et dépouillement. Des réserves suffisantes en
nourriture et chauffage pour assurer la survie et ne pas subir la hantise d’une
plongée au monde aux fins d’approvisionnement. Le dépouillement de toutes
urgences obsédantes, toutes ces envies de faire, d’avoir, de consommer, de
rencontrer, de léguer.
L’hibernation
bien vécue m’y a beaucoup aidé. Je m’y suis régénéré. Même intellectuellement et
il y a longtemps que je n’avais ressenti une telle curiosité sans pressions :
c’est avant tout dans mes encyclopédies que se sont plongées mes lectures et je
ne les avais jamais autant parcourues, sautant d’un sujet à l’autre, d’un tome
à l’autre, ou cheminant dans l’ordre alphabétique…
Alors,
pré-printemps ? Oui puisqu’il ne s’agit pas d’une absence mais d’une
question de rythme, de lenteur. Ainsi, mes nettoyages de printemps sont
commencés depuis un mois et je n’ai guère besoin de les presser. Arbres cassés,
déracinés, trop inclinés ? Ils sont légion en chemins et en champs. Dans
les terrains communaux à myrtilles j’ai débuté en raquettes de neige pour
abattre et débiter et j’aurai le temps de déblayer branches et branchages avant
l’amorce des fleurs. Sur les voies qu’encombrent tant de têtes de sapins, les
encore rares promeneurs feront des détours ou attendront que ma brouette puisse
y porter les outils pour tronçonner et débarrasser.
Nul
jardinage n’a encore démarré mais le lent recul de l’enneigement offre des
regards différents, propose des sites impensés où disperser les graines
récoltées à l’automne, suggère des emplacements où enraciner les fruitiers qui
mûriront en années futures de climat réchauffé, exhibe des inconnues qui
mériteraient d’être transplantées.
En fait,
ce qu’il me fallait pour être capable d’apprécier ces jours de pré-printemps
c’était de désapprendre la voracité, cette voracité de vivre en avoirs, savoirs
ou pouvoirs qui altère les êtres et les devenirs. Sans voracité printanière,
qu’il est doux ce pré-printemps de sensations et activités sans cesse
renouvelées, sans cesse déboussolées, sans cesse recentrées par un présent qui
s’illumine en rêves et en béatitudes.
Le lundi 30 mars 2015
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