J’en avais
marre : depuis des mois je ne savais que répondre à ceux qui, en visite ou
au téléphone, me demandaient comment ça va. Les « Bien », « Très
bien » ne font rêver personne. Il n’y a rien à raconter quand le moral, le
physique, l’intellect déroulent en douceur des quotidiens savoureux. A quoi bon
importuner avec le récit de tous ces petits rien qui émerveillent le cœur et
nourrissent l’âme ! Et mes découvertes grandioses ne le sont que pour moi
qui débute dans ce style de vie mais sans le charme d’un vrai débutant.
Alors,
hier matin, j’ai pris le taureau par les cornes et je me suis pété la cheville.
Oh, rien de grave, une foulure ou bien une déchirure, des choses qui se soignent
surtout avec du repos. Encore que je pourrais monter ça en épingle pour un
petit récit héroïque de grand invalide perdu dans sa montagne. Mais j’aurai
l’air de quoi quand bientôt je trotterai à nouveau ?
Et puis ça
a quand même du bon : c’est la pause ; pour presque tout. Par
exemple, hier je me suis offert un congé pour mon état actuel d’herbivore.
Presque deux mois qu’avec le démarrage de mes essais de potager je me nourris
essentiellement de plantes ; en commençant par les feuilles des premiers
radis à éclaircir, en continuant avec les laitues, les cressons, les blettes,
agrémentées de persil, de coriandre, de ciboulette, de basilic, de menthe. Rien
de bien extraordinaire mais j’étais sous le charme et je me disais que je
devenais français (dans bien des pays d’Amérique Latine on m’affirmait que les
français sont des lapins car ils mangent énormément d’herbe). Hier donc, mes
verdures étant inaccessibles, j’ai eu le grand plaisir de revenir à mes diverses
boîtes de conserves. Que c’est bon la pause !
De même,
voilà à présent plus de vingt-quatre heures que je n’ai pas mis les pieds
dehors alors que, depuis les journées enchanteresses du pré-printemps de mars
je n’avais jamais cessé de circuler dans mon pré et dans les environs, de m’y
activer ou de m’y poser successivement dans chacun des petits recoins
accueillants qui s’offrent à moi et qui se multiplient d’année en année. Rester
en intérieurs ? Le strict nécessaire. Ou bien parfois, lorsqu’il avait
absolument fallu aller en ville, pour débloquer la tension en jouant quelques
heures aux cartes sur l’ordi avant de ressortir rétablir l’harmonie.
La nature,
les paysages, les ambiances sont si captivantes que même les journées où je me
levais avec la ferme intention de glander et ne « rien faire » se
déroutaient dès que je sortais pour un petit tour : il suffisait d’un
« rien » pour commencer à « faire »… Hier je n’ai rien fait
sinon reposer ma cheville !
Et ce
matin, si comme souvent je me suis éveillé avec l’envie d’écrire quelques
lignes, voilà que non seulement j’ai l’envie mais aussi la disponibilité. Tant
que je n’aurai pas de béquilles je ne pourrai pas aller contempler
l’impressionnant assèchement des sources, ni vérifier l’évolution des
aménagements en cours, ni écouter pousser les plantes, ni… Donc j’ai du temps
alors que d’ordinaire c’est plutôt le temps qui m’a, et qui me séduit par ses
langueurs et ses ardeurs.
Le
temps ! « Temps libre » dit-on. Mais libre de quoi ? En
fait, ici le temps m’a libéré de moi, de mes obligations, de mes obsessions, de
mes passions, il m’a libéré de ma voracité et m’a invité à vivre. Ma cheville
me rend à d’autres envies ? Profitons-en, ça aussi c’est un plaisir, le
plaisir de rencontrer brièvement le vieil homme que j’étais, de le saluer, de
partager un peu avec lui. Car il ne faut pas l’oublier : j’aurai encore
des hibernations à passer en sa compagnie.
Las Fayas de Valcivières, le jeudi 2 juillet 2015
Pas même un rogaton de fourme d'Ambert dans ton nouveau régime ?
RépondreSupprimerBien des rogations. Et beaucoup de fromages divers. Pour le calcium et ressouder l'os...
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