Amis et voisins m’avaient prévenu: dés la fin octobre il
peut, à n’importe quel moment, neiger de telle manière qu’il n’y aura plus
d’accès routier pour tout l’hiver. L’urgence de monter les réserves vitales
pour cette saison m’avait servi de prétexte pour une autre urgence : mes
envies de goûter un peu les couleurs de l’automne dans mon ermitage. Ce fut une
de mes rares exigences en septembre, à l’heure de concerter mon voyage au
Caucase : être présent pour les derniers jours d’octobre.
Je ne suis rentré que le 19 octobre et je me suis senti
frustré : les feux de l’automne n’avaient guère roussi les arbres ;
ce n’était pas l’incendie attendu. C’est là que j’ai appris qu’à cette altitude
le transit des pigments est très rapide ; d’ailleurs l’année trop sèche
n’a pas aidé au chant des feuilles ; et puis… Mais le gel qui accompagnait
mon arrivée promettait une évolution accélérée.
Je me suis donc consacré à acheter et transporter le plus
indispensable: des vivres pour l’estomac; du combustible pour les poêles du
corps ; du vin pour l’âme. Faut pas croire, ça prend du temps : qui
sait ce qui importe le plus ? ; et combien ?
Il y a aussi les opportunités à saisir : avec mon
voisin Jean-Baptiste nous avons encore acheté du bois pour garantir des maisons
douces. Alors les tâches se multiplient ; tout monter ave la
remorque ; couper à la taille du poêle ; ranger dans un coin sec,
donc dans la grange-buron. Oh, ce ne furent pas énormément d’heures mais… j’ai
acheté un chevalet de sciage et il m’a donc fallu un bon moment pour étudier
les instructions, faire le montage (je ne me suis trompé qu’une fois !),
apprentir son usage…
D’autant plus que la bête me permet de commencer à
débiter tant de petites branches qui ne sont ni bonnes ni pratiques pour le
poêle mais que, après tant d’années à voir des gens souffrir dans les Andes
faute de bois de feu, je ne peux me résoudre à les laisser se perdre…
Sans parler des heures à adapter et protéger le fruit de
mes travaux antérieurs. Arranger, transporter ou recomposer les divers tas
provisoires de l’été m’a demandé beaucoup d’imagination et de temps. Mais quel
orgueil quand finalement j’ai pris la photo du bûcher principal, du hêtre de
cette année, placé sur ma nouvelle plate-forme, bien protégé par une bâche.
Finalement? En novembre l’automne s’est décidé à nous offrir quelques
rigueurs, en vent et tempête cette fois. Oui, de vrais grands vents. Si grands
qu’ils ont envolé ma bâche, ont dénudé mon bûcher et m’ont couvert de
honte !
Les arbres aussi se sont dénudés. Mais, avant cela, oui
j’ai pu réjouir mon être aux ardeurs de ses tableaux changeants.
C’est ainsi que j’ai atteint mes buts: l’automne, des
réserves pour l’hiver. Mon
bûcher est à nouveau couvert. Mes dépôts sont pleins. J’ai tout vérifié avant de repartir pour le Caucase. C’est là que j’ai
constaté l’abondance des apéros et digestifs engrangés peu à peu. Quelle
horreur ? Allons ! Pour décrire mes journées en buron j’avais
adopté le slogan : Matinées
lyriques ; Après-midis physiques. Puis, un peu comme une blague, un
peu par sincérité, j’avais ajouté : Soirées
alcooliques. Alors, il faut bien que je m’exécute !
Original en espagnol à Erevan (Arménie), le dimanche 13 novembre 2011
Désolé du retard, je n'arrivais plus à charger les billets...
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