dimanche 27 mai 2012

19. De la girouette tragicomique à la brouette magique


Perturbé mais content, c’est ainsi que j’étais revenu de Bolivie. Epuisé, c’est sûr, en lisière de surmenage, mais c’était normal après un rythme trop intense pour l’âge rance et un voyage de retour à détours et rallonges de jours (trois au total). Mais plutôt perturbé : il n’est pas évident de recueillir ses pas là où il avait fallu choisir… et s’amputer, comme toujours. C’est à Cochabamba que j’avais opté pour le buron il y a deux ans. C’est à Cochabamba que j’ai terminé ce bref séjour et que j’ai savouré… ce que j’avais alors abandonné. Reprendre place au buron n’était pas qu’anecdotique.
Mais content cependant. Content de mes retrouvailles avec les Andes, d’avoir pu y circuler, y travailler, y reprendre mon vieux métier. Mission accomplie !
¿Mission accomplie ? Alors que j’en étais encore à m’imbiber des effluves de ma montagne et des ardeurs de mes tâches en cours, ce fut le coup de massue ! « Il manquait… » Il manquait bien des choses à mon rapport final de cette « évaluation prospective » et voilà qu’on m’en redemandait, et en urgence.
J’ai craqué. Impossible de me remettre à remplir les cases de l’évaluateur, car en fait c’est un métier qui n’est pas le mien. Impossible même de retrouver la vision et la clarté du « prospecteur ». J’ai fait ce que j’ai pu, donc peu, et j’ai préféré jeter l’éponge, renoncer au contrat et au paiement, donc aux tensions et aux responsabilités, de peur d’encore oblitérer mon esprit pour un an.
J’étais au fond du trou, toute confiance perdue, toute angoisse bue. Je me suis jeté sur pic, pelle et brouette pour m’étourdir de cette fatigue autre qui régénère.
Et puis, un matin, les ondes atteignant à nouveau le buron, j’ai découvert un message attentif à mes déboires et me libérant des « compléments » sans résilier mes émoluments. Quelques heures plus tard, c’est le téléphone du Caucase qui m’annonçait qu’enfin des actes avaient commencé à donner vie aux mots et aux délires, que la stratégie inventée avait quelques fruits, que l’optimisme pouvait revenir… et que mon remplacement était assuré. Du fond de mon trou je suis passé sur un nuage.
Faire ainsi la girouette ascensionnelle n’est pas très bon pour ma tête. Mais que c’est énergisant quand elle trouve un vent porteur d’espoir ! Eh bien elle a continué dans la bonne direction ma girouette car, quelques heures encore, et c’est la brouette magique qu’elle m’apportait.

La brouette magique. On dit qu’il ne faut pas être envieux mais j’avoue que je l’étais un peu. De mon voisin Jean-Baptiste et de sa brouette. J’en ai une moi-même. J’en ai même deux. Mais la sienne ! Avec moteur et chenillettes. Pour passer partout et sans porter. Démarrant sans besoin d’être expert. Et voilà que Jean-Baptiste proposait de me la prêter en son absence !
Mercredi j’ai fait mon apprentissage en compagnie de Bertrand et Isabelle, autres buronniers présents en ces jours. Hier, jeudi, je me suis déniaisé tout seul entre mes tas de bois. L’euphorie ! Mais je ne suis plus envieux, je suis salement jaloux à présent : c’est vraiment ce qu’il me faut.

Sauf qu’il faudra missionner pour pouvoir me l’offrir… C’est ça mon paradoxe. D’aucuns poussent leur brouette en rêvant de voyages au long cours. Moi je pousse mes voyages au long cours en rêvant de brouette magique !
Las Fayas, le vendredi 25 mai 2012

lundi 30 avril 2012

17. Depuis les Andes d'Amérique

Ce billet a été écrit en espagnol et je n'ai guère loisir de le traduire en ce moment. Les intéressés peuvent le voir sur le blog en espagnol.

vendredi 27 avril 2012

18. La vraie solitude, c’est celle du consultant



Souvent je ressens chez les autres un certain trouble face à mon goût de la solitude en buron d’Auvergne. Je m’essaie alors à comprendre un peu mieux qui je suis, le pourquoi de cette tendance.
La première explication qui me vient est généralement l’entraînement vécu à la ferme natale, en Champagne. Elle était isolée et je n’y ai guère développé le sens des relations. Bien sûr, entre parents et enfants nous étions onze, mais déjà ma nature me portait à me mettre à l’écart, à vivre beaucoup dans ma tête, dans mes rêves et mes délires.
Une autre piste qui sourit à mon esprit c’est que depuis plus de quarante ans je suis devenu « étranger ». En Amérique Latine bien sûr où j’ai passé le plus clair de mon temps, mais en France également puisque j’étais devenu tellement « autre » que je ne m’y reconnaissais pas, qu’encore je ne m’y reconnais guère.
Aujourd’hui je viens de découvrir une vraie raison. Elle m’est tombée dessus alors que je me traînais dans mon appartement, à La Paz, incapable d’écrire le rapport attendu parce que je ne réussissais pas à atteindre ce degré extrême de concentration qui me permet de dire et non pas de faire du simple remplissage : ¿comment pourrais-je me sentir seul au buron alors que j’ai passé tant d’années dans une des pires sortes de solitude, celle du consultant qui navigue de pays en pays, d’hôtel en hôtel ?
Le Caucase où je suis autiste semblait vraiment extrême. La Bolivie allait-elle me régénérer en plus de m’offrir un quotidien en espagnol ? En fait, il ne s’agit pas seulement de la Bolivie. Pour pouvoir y venir j’ai accepté d’être évaluateur et aujourd’hui la solitude du métier m’a pris dans ses serres et m’a étouffé. Quand j’ai enfin, cet après-midi, abandonné l’obsession de la feuille blanche et remis à demain, c’est au buron que je me suis évadé…
Au départ je craignais de ne pas être capable d’y travailler. Les conditions rustiques n’étaient pas évidentes. Devrais-je me remettre à la machine à écrire faute d’énergie pour mon ordi ? Valait-il la peine d’acquérir un bon fauteuil de bureau pour supporter les sessions fessières ? Et voilà qu’au contraire le buron est devenu mon lieu préféré pour écrire. Pourquoi ?
Parce que je n’y suis pas seul. Parce qu’il me suffit de sortir pour entrer en partage avec la nature, avec le milieu, avec les éléments, et de m’y ressourcer. Oh, je savais bien qu’il n’est pas pire solitude que celle de la ville, du moins pour celui qui n’y est pas entraîné, qui n’en a pas la fibre. Mais je ne m’attendais pas à me laisser surprendre par l’intensité d’une telle souffrance.
Mais bon, demain je quitterai la ville. Pour aller dans une autre, Cochabamba, mais cette fois j’y serai en famille, en partages, en complicités. J’y rechargerai mes batteries aux sources de l’amitié, des valeurs communes, des parcours de vies qui se croisent et se rejoignent depuis des décennies maintenant. Et la semaine prochaine ce sont ces présences ravivées que je rapporterai aux Fayes et qui m’y accompagneront.
Dire qu’aujourd’hui je devais écrire sur des histoires de gestion du risque de catastrophes naturelles et sur le changement climatique ! Rodrigue, qui l’eût dit ?
La Paz, Bolivie, le vendredi 27 avril 2012

vendredi 30 mars 2012

16. Le Duster est-il assez pauvre ?



C’était l’inconnue. Hier, sur la route, j’avais fait des courses plus « lourdes » que ces derniers mois. J’espérais qu’en mon absence, la glace aurait suffisamment fondu pour que je puisse monter jusqu’au buron. Sinon, j’en avais pour plusieurs voyages à pied avec mes valises, mes provisions et autres…
Gagné ! Pour la première fois depuis fin novembre, j’ai pu accéder au buron avec mon véhicule !
Perdu ! J’ai passé une bonne partie de la soirée dans mes débats et contradictions !
Après avoir longtemps tergiversé, je m’étais décidé, fin 2010, à acheter un 4x4 pour ne pas avoir à trop porter. Je savais que c’était indispensable mais je ne voulais pas deux véhicules ; or l’âge ne me permet plus guère de grands voyages en tape-cul de petit 4x4 rustique ; or mon portefeuille et mon âme ne m’autorisent pas un gros 4x4 polluant et grand consommateur. C’est l’invention du Duster qui m’a décidé. Rationnellement je ne pouvais espérer mieux.
Un monstre sur ma terrasse!
Rationnellement ? Quel choc effroyable quand, il y a juste un an, je me suis pour la première fois réveillé au buron avec ce monstre devant ma porte ! J’étais effaré ! Qu’est-ce que cette bête neuve et luisante venait faire chez moi? Une verrue sur le buron ! Je l’ai exilé sur l’ancien parking des communaux, pour le voir le moins possible.
Comme il était quand même si pratique et qu’il m’offrait des perspectives de durer plus longtemps ici malgré l’âge, je m’y suis habitué. En tâchant de garder un peu d’autodérision : dans mon journal de l’époque, j’avais baptisé la plateforme d’accès à ma terrasse depuis la voie empierrée du nom de « Autel Duster », un peu comme pour un veau d'or.
En exil...
Et voilà qu’hier soir je pensais à lui avec tendresse et reconnaissance ! Alors que, jeudi dernier encore, en Arménie, j’étais en débat avec les développeurs qui prétendent « lutter contre la pauvreté »… Je reprenais mes arguments comme quoi la misère est inacceptable mais la pauvreté matérielle est non seulement acceptable mais bienvenue car la planète ne supportera plus longtemps l’extension d’un mode de vie basé sur cette idée de richesse et de consommation qui prédomine aujourd’hui. « Je ne lutte pas contre la pauvreté mais pour que tous nous puissions, en pauvreté, valoriser et savourer tant de richesses de vie que nous avons. » C’est ce que j’expliquais. C’est ce que je cherche à vivre moi-même.
Oui mais, et le Duster ? Et voilà que je m’en éprends ! Vous imaginez ma soirée… Qui finalement ne s’est pas trop mal terminée. Je me suis auto-convaincu que je n’avais guère le choix. Et, puisque je n’ai nullement quêté la frime, quel mal à ce que j’y mette la rime ?
C’est ainsi que, ce matin, je me suis éveillé plus serein. Et disposé à goûter à nouveau les joies de cette vie au buron où, précisément, je m’efforce d’avoir une faible empreinte écologique et une énorme réjouissance de nature, un bal de compagnies variées, un bain de diversité rayonnante. La « vraie vie », diraient ou gausseraient certains…
Tiens, j’ai vu que les premiers pissenlits sortent, même ici. Je vais faire ma cure printanière. Le Duster ne m’en empêchera pas !
Las Fayas, le vendredi 30 mars 2012

15. En mars, la vie en tas


Le samedi 17 mars je quittais le buron vers la Champagne natale puis le Caucase. Soudain survint l’envie frénétique de photographier mes multiples tas de bois. Pourquoi envie frénétique ? Parce que je terminais deux longues semaines de frénésie. Dans les bois qui furent prés communaux au-dessus de chez moi, autrefois. Deux longues et savoureuses semaines à abattre, débiter, entasser et nettoyer. A ouvrir le ciel vers l’est et à récupérer un peu plus d’ensoleillement de mes panneaux solaires pour le prochain hiver.
Alors, avant de partir, il me fallait un inventaire et bilan, des images de mon paysage de plus en plus parsemé de tas de bois anciens et récents, de tas de branchages anciens et récents, mais de façon déjà plus ordonnée et efficace.
Les tas anciens sont ceux sur lesquels je comptais pour cet hiver 2011-2012. Il en reste, oui. Entre mes absences et mes économies, j’ai pu tenir et j’ai du rab. J’ai même encore un peu de chêne à l’étage grange-buron.
Ça baisse mais il y en a encore...

Il y a aussi le gros tas bien rangé de hêtre et d’érable qui sera la base de mon chauffage pour l’hiver 2012-2013. Insuffisant bien sûr, mais c’est une garantie.
Et puis il y a maintenant les tas de bouleau de ce mois de mars. Le soleil de fin février avait fait fondre un peu de neige ; des zones étaient libérées, je pouvais y travailler sans trop de danger. Dès le premier mars j’ai essayé la tronçonneuse. Elle a bien démarré. J’étais lancé. Avant que la sève printanière ne commence à grimper dans les troncs, j’ai abattu et abattu. Tout ce dont je me sentais capable de faire le nettoyage avant de voyager.
Bien sûr, j’ai ensuite été retardé par deux jours de nouvelles chutes de neige et l’attente de sa fonte. Je n’ai pas pu finir à temps. Mais quelles semaines ! Je les ai eus ces travaux en extérieur dont l’hiver m’avait privé ! Du matin au couchant. En journées de plus en plus prolongées. En rythme paisible, puisque mon corps m’a réprimandé, mais en émoi intense.
La lumière qui parvenait enfin au sol et aux myrtilles me réjouissait le cœur et me reliait à ceux qui les cueilleront cet été. L’énorme tas de branchages alimentait le rêve de futures sessions en partage autour d’un broyeur pour les transformer en tapis de potagers et autres cultures. Les amas de rondins de bouleaux m’offraient tout un programme de travaux prochains pour fendre et expérimenter un meilleur séchage. Les bonnes branches de sorbier me défiaient à de nouvelles expériences sur leurs possibles utilisations.
Un régal de branchages à broyer...

Chaque tâche et chaque pause étaient ainsi fleuries de pensées joyeuses, de communions avec la nature, mes voisins, mes visiteurs à venir…
Dans la défriche il y a un avant et un après
Mais le pied, c’était quand un recoin semblait assez dégagé (j’ai gardé quelques arbres, pour les oiseaux, parce qu’ils sont beaux, parce qu’on pourrait y accrocher un hamac, parce qu’une ombre est douce pour les pauses et les siestes…) : avec la fourche, avec le râteau à feuilles, avec divers outils, j’essayais diverses techniques pour ramasser tous ces débris de forêt qui pourraient encore gêner le geste auguste des grands myrtilleurs du Perrier, ceux qui récoltent au peigne industriel
Je suis rentré hier soir. Demain je m’y remets…
Las Fayas, le vendredi 30 mars 2012

mercredi 29 février 2012

14. Un quotidien de… désapprentissages


Février se termine et je suis heureux d’avoir pu m’essayer ici à ces grands froids, à cet enneigement, à ce retour à un hiver un peu plus réel que celui de l’an dernier. C’est vivable ! C’est même savoureux.

Mon chauffage s’est amélioré, encore que je doive limiter le Thierry car il perd sa tresse et pourrait s’emballer ; bientôt il me faudra expérimenter son remplacement. Mais mon bois de feu a été meilleur et suffisant ; j’ai mieux entrevu les différences entre les essences, leur qualité, la façon dont elles ont été débitées, fendues, séchées, entreposées. Mes calfeutrages ont progressé, même s’ils ne sont encore que des rafistolages.

Les provisions montées à l’automne ont à peu près tenu, avec bien sûr l’aide de mes absences. Cependant il faudra mieux calculer les jus d’orange, les apéros, le vin. L’essentiel quoi ! Mais quel soulagement de ne pas craindre la fin des bouteilles de gaz, ni l’éclatement des tuyauteries, ni l’insuffisance de courant solaire. Oh, j’ai quand même passé deux semaines aux bougies (et je me suis rendu compte que j’avais oublié d’en faire des réserves) quand les brouillards dominaient et que je préservais l’énergie pour mon ordi… C’est surtout que j’avais zappé l’entretien de mon groupe électrogène et qu’il m’a fait faux bond !

Enfin, je me suis un peu plus découvert moi-même ! A présent plus rassasié de ce lieu, j’ai moins souvent quitté le lit avant l’aube pour aller quêter les images et les vents nocturnes. Et j’ai éprouvé quelle est la plus grande absence de l’hiver, son plus grand vide : les travaux d’aménagement à l’extérieur. Le sol congelé et la couche de neige ne se prêtent guère aux activités que je choie le plus ; elles m’ont manqué. Sans l’obsession de la survie qui m’occupait l’an dernier, leur désertion s’est remarquée. Une autre absence : il a bien fallu constater que cette vie de buron est difficilement partageable et qu’il y faut s’assumer en vieux garçon.

Il y a cinq jours j’avais préparé un billet pour les deux blogs qui s’appelait « apprentissages de froid et de neige ». Il a suffi que je ne puisse pas le poster de suite pour qu’il perde tout son sens. Comment préserver le chauffe-eau ? J’avais tout faux et je devrai quand même démonter le brûleur pour le nettoyer. Comment faire des traces dans la neige qui garantissent un bon transit ? Elles n’évoluent pas du tout comme je l’avais imaginé. Comment affronter les eaux abondantes de la fonte des neiges ? La poudreuse actuelle a peu d’eau et elle s’infiltre lentement sans provoquer de grands ruissellements. Comment éviter la formation de congères sur mes chemins ? Eh bien, il semble qu’on ne les évite pas, du moins avec des moyens réduits. Et ainsi de suite…
La belle trace des raquettes, elle fond mal. La moche fond plus vite !
Alors c’est peut-être ça mon principal apprentissage de cet hiver : il faut savoir relativiser les apprentissages et commencer par désapprentir chaque jour ce que l’on croyait avoir appris la veille !

Oh, ce n’est que la deuxième fois que je m’essaie à cette permanence, il y aura bien des choses qui perdurent… Je l’espère. Mais je peux reprendre ma dernière phrase du billet que je n’ai pas envoyé et qui gît à présent dans le fichier des « écartés » :

« Le plus beau dans tout ça ? La vie au buron ça n’est jamais une routine ! Du moins pas celle qu’on prévoit… »

Las Fayas, le mardi 28 février 2012

mercredi 8 février 2012

13. Le grand froid est arrivé. Moi aussi…

Qu’est-ce que j’en ai profité de mes dernières nuits à La Ceiba, au Honduras, où j’étais venu me perdre pour donner un coup de main à l’ami Humberto. Je savais qu’en France le grand froid s’installait alors que la côte atlantique du Honduras offrait son meilleur climat de l’année : ni chaud ni froid, même pas besoin d’un ventilateur. Je dormais à poil sur le lit, savourant ces moments de liberté du corps avant d’avoir à me couvrir de sept ou huit couches différentes pour supporter les fortes gelées de mon buron français. Chaque jour je consultais la météo et je savais que m’attendait une température entre moins quinze et moins vingt.

Quarante degrés de différence en quelques heures c’est beaucoup. Même quand on croyait être entraîné : en arrivant à Paris le jeudi 2 février, j’ai pris une grosse claque gelée dans la gueule ; en voulant rallumer mon portable avec des gants je l’ai mis en panne ; sans téléphone pour bien coordonner, à Troyes j’ai dû choper le seul taxi présent pour qu’il m’emporte dans une maison chaude, celle de mon frère, parce que je ne supportais pas l’attente glaciale.
En Champagne je suis resté une journée de plus que prévu, sous prétexte de veiller sur ma mère. Mais il fallait bien affronter : le dimanche 5 j’ai conduit les huit heures qui me séparent qui me séparent des Fayes. Bon, pas exactement des Fayes ; la neige empêchait évidemment de monter en voiture au buron ; j’ai laissé ma bécane au Perrier où finit le bitume, j’ai chaussé les raquettes et j’ai grimpé, le sac à dos sur les épaules et la valise à la main. Vingt fois je me suis arrêté pour me reposer et pour bouger mes mains congelées malgré gants et sous-gants.

Ne croyez que j’aille me plaindre car, s’il fut dur d’arriver, qu’il fut bon… d’être arrivé ! Point trop de neige : je n’ai pas eu à creuser pour atteindre la poignée de la porte d’entrée. Les panneaux solaires étaient dégagés et les batteries chargées. Dedans il ne faisait que moins trois, le Thierry était préparé et il a suffi d’une demi-heure pour atteindre plus un.

J’avais déjà eu l’occasion d’arriver après une vague de grand froid mais c’était la première fois que je faisais pendant l’ère glaciaire : l’aventure ! Et que d’apprentissages…

Malgré mes précautions de bien vidanger tous les tuyaux et même de démonter le compteur d’eau, tout le système était congelé. Il m’a fallu chauffer pendant vingt-quatre heures, avec le petit poêle à pétrole, tronçon par tronçon des moins de huit mètres de plomberie pour rétablir enfin un fonctionnement normal.

Avec le gaz de la cuisinière, il en fut de même : le dimanche je rêvais d’un bon café mais je n’obtenais qu’une petite flamme maigrichonne ; j’ai pensé que la bouteille serait vide mais j’ai quand même essayé de la réchauffer un peu et elle m’a démontrée qu’elle n’était qu’engourdie.

C’est ainsi qu’hier lundi fut une journée très spéciale : je l’ai passée à bouger le poêle à pétrole le long des tuyaux et à charger le Thierry avec mon meilleur bois de feu pour atteindre une température agréable. J’ai délaissé toutes les autres urgences pour me consacrer à câliner le buron, à me faire pardonner l’absence. A peine si je m’éloignais un peu pour tracer des chemins dans la neige, rentrer des bûches, accueillir lumières et rayons du soleil, déguster café ou apéro en terrasse.
Et le buron m’a remercié. Ce matin du mardi, à sept heures, j’ai battu mon record : vingt trois degrés de différence entre intérieur et extérieur ; plus sept dedans et moins seize dehors. Et je peux le dire : depuis que je suis arrivé je n’ai jamais eu vraiment froid !

Les Fayes, le mardi 7 février 2012

lundi 2 janvier 2012

12. Le nouvel an est venu avec des voeux... et des torrents


Non, désolé, vous n’êtes pas les premiers à qui, en cet an nouveau, je présente mes meilleurs vœux pour 2012. D’autres sont arrivés avant, par surprise. Des voisins inconnus, qui ont leur résidence secondaire dans le hameau en dessous, étaient sortis pour une balade, nous nous sommes croisés, nous nous sommes salués et nous avons échangé les « bonne année ».

Nous nous sommes croisés mais ce n’était pas dans mes plans. En fait, je n’étais pas en balade. C’était presque midi et j’étais sorti, en pyjama, peignoir, bonnet péruvien et lampe frontale, pieds nus dans les sabots, boire un café en terrasse sud-ouest avant de me mettre à écrire. Mais j’ai eu du mal à me retenir : le paysage était une symphonie d’eaux : cinquante centimètres de neige fondaient à tout va et l’eau chantait de tous côtés.

Dans ma tenue, puisque d’ordinaire je suis seul, je suis descendu, poussé par la curiosité de voir si mes écoulements fonctionnaient, si le torrent courait dans les chemins ou se distribuait dans les prés. Je suis arrivé à la voie empierrée. Le grand flot d’en haut était stoppé par le deuxième drain. Joie. Le petit flot qui sort de mon pré submergeait le troisième drain et se déversait sur le sentier. J’ai décidé de le suivre pour vérifier les effets.

C’est ainsi que j’ai croisé ces voisins. C’est ainsi que mon programme du jour a changé : point d’écriture ; il s’agit de mieux canaliser drains et fossés, de profiter de la force des eaux pour nettoyer les chemins. Je suis monté me changer et prendre les outils et je me suis offert… un jour de gloire. Les pieds dans l’eau, poussant feuilles, mottes et branchages. J’ai même savouré la première heure de soleil depuis quatre jours. Jusqu’à ce que le brouillard se rétablisse, jusqu’au théâtre du couchant.

Ce n’est que maintenant que je peux revenir au clavier et vous saluer : je nous désire à tous une joyeuse année 2012.

Pourquoi joyeuse et non point prospère comme on dit en espagnol ? Parce que c’est ce que 2011 m’a enseigné. Il y a longtemps que je n‘avais pas passé tant de temps sans vous voir, vous. Cependant c’est vous qui avez rempli d’allégresse mon 2011, cette première année complète en montagne. En permanence vous étiez présents, m’accompagnant dans mes apprentissages, me guidant de nos rêves qu’à présent j’essaie de transcrire en vie après l’avoir surtout fait en livres. Et votre présence m’a donné la force de jouir de chaque détail de l’instant, de la plus minime amélioration matérielle, de chaque nuance du jour, au lieu de me lamenter de l’absence de ce que la prospérité aurait pu me fournir.

« Nos rêves » ? Eh oui, quelque rêve de ce que peut être la vie rurale nous a inspiré au long de ces années. Hier soir j’ai été surpris. Je dînais seul, donc avec vous et avec moi. Une bouteille de champagne et un foie gras (pour la quantité je n’ai aucun mérite, je me suis saturé de manger la semaine dernière). D’un coup surgit un joyeux bilan de 2011 : qu’est-ce que j’ai pris mon pied ! Mon journal de bord était « l’apprentissage de la survie » : jamais je ne me suis senti en survie ici. Le climat, mon entraînement à me réjouir de peu et l’appui d’amis ont suffi pour que tout soit merveille.

2012 alors ? C’est ça qui m’intrigue ! J’étais incapable de le rêver. Ça ne sortait pas. Peut-être pour quelque illusion absente ? Et certaines absences sont dures à vivre. Mais peut-être aussi parce qu’il s’agit d’un apprentissage : je ne suis plus là pour apprendre à survivre mais pour apprendre à vivre, tout simplement. Bienvenue 2012 !

Et si pour vivre l’important était de savoir recevoir et partager plus que de savoir rêver ?

Traduction littérale de l’original en espagnol, Les Fayes, le dimanche 1er janvier 2012

jeudi 22 décembre 2011

11. Mon père est mort au buron : à nos vingt ans !


C’est le dimanche 27 novembre que mon frère Philippe m’a prévenu qu’il venait de partir, mon père. Je le savais en décrochant mais je n’ai pu empêcher quelques larmes de glisser lentement sur mes joues. Non point de douleur mais de joie, d’émotion douce et réconfortante : c’est dans son lit qu’il est mort, alors qu’il allait mieux, alors qu’il s’efforçait de recouvrer son autonomie, alors donc qu’il était en vie, quand le cœur usé s’est arrêté. Il avait réussi à esquiver l’hôpital, les dernières souffrances, le plein de déchéance, le trop plein d’emmerdements. Le rêve !

C’est à lui que je pensais en poursuivant mes tâches. Peu à peu la tendresse envahissait mon cœur et mes sens et me remplissait d’allégresse : quelle chance qu’il nous ait offert la musique d’un souvenir ultime qui apaise et qui réveille les échos de tout ce qui fut bon, tout ce qui fut chaleureux, tout ce qui fut savoureux !

Ma chance à moi me ravissait. Enfant prodigue et nomade, je m’étais préparé depuis plus de quarante ans à devoir affronter un jour, au retour de quelque longue virée sur le terrain, la nouvelle d’un départ déjà clos, le regret de l’absence, la culpabilité d’un dernier témoignage raté. Et voilà que j’étais présent, que j’avais même pu, cinq jours auparavant, lui lancé encore un « à la prochaine » et lui renouvelé un baiser filial !

On dit que la mort est tristesse, celle d’une page qui se tourne, mais je ne parvenais pas à atteindre cet état ; j’étais trop content pour lui, trop content de ce départ réussi et à un très grand âge, qui laisse ainsi la page immédiatement ouverte aux ressouvenirs, aux réconciliations, au ressourcement d’une mémoire.
Août 2004, au pied du grand fayard
On dit que la mort est tristesse, celle de ceux qui restent ; je ne pouvais pas : c’est au buron que je l’apprenais ; j’ai choisi de célébrer. Je suis d’abord allé au grand fayard qu’il avait tant admiré lors de sa seule visite aux Fayes. Puis j’ai parcouru les pièces du pavillon et buron qui font ma maison et je les ai regardées avec ses yeux d’alors, quand tout n’était (au lendemain même de l’achat) que ruine et désastre : il a dû croire (une fois de plus) que j’étais fou et maudit.

Mais dans quel état était-elle lorsqu’il l’a achetée cette grande maison de Champagne où il vient de mourir ? A décourager les plus optimistes ! Mais il en rêvait après les errances du fermier, sans son propre toit mais riche en marmaille. Et c’est de là qu’il vient de partir en beauté, en chez lui, en paix.

Alors je me suis confirmé que c’est ici, c’est chez moi, c’est en jas, c’est en Zutterie, que j’aimerais m’arrêter et devenir cendres pour aller nourrir la fumade de mon pré, du moins les topinambours qu’un jour j’y planterai comme je le lui avais promis.

Le grand art c’est de ne garder que les bons souvenirs. Un départ réussi, ça aide. C’est donc quelque chose à célébrer. En cet après-midi de dimanche, Jean-Claude le sauveur (celui qui a sauvé ma maison en lui posant un toit) passait par là. Je l’ai invité à boire le champagne avec moi pour fêter la nouvelle reçue au buron, chez moi. Et pour trinquer j’ai voulu reprendre l’expression rituelle de mon père : « A nos vingt ans ! ». C’était sa formule à lui ; à présent elle est à nous.

La Zutterie, le jeudi 15 décembre 2011

mardi 6 décembre 2011

10. Quand l’hiver tarde: défis d’automne

D’ordinaire il me faut du temps pour rétablir l’harmonie entre le buron et moi après une absence. Ça peut prendre plusieurs jours comme en octobre. D’où ma surprise lors de mon retour d’Arménie, ce mardi. D’emblée ce fut l’enchantement ! Immédiatement ce fut la collaboration !

Il faut dire que j’avais réussi à faire la route depuis ma Champagne natale (où j’avais crocheté en rentrant du Caucase) avant que la nuit ne soit complètement tombée. A dix-huit heures j’avais tout déchargé, allumé le Thierry et je m’installais en terrasse sud-ouest pour déguster les dernières rougeurs du ciel et les premières lumières d’un apéro de rhum vieux. Le pied dans mon cœur !

Il faut dire que je ne venais pas en passant comme la dernière fois ; ce n’était pas qu’une pause, j’arrivais pour me poser ! Aucune urgence. Enfin si, une quand même, un texte pour l’Arménie avant qu’il ne soit midi là-bas, donc neuf heures en buron. Bon prétexte pour reprendre le rythme d’un réveil tôt vers cinq heures. Bon prétexte pour déjà monter en cyberburon des Chaumettes.

Il faut dire aussi que ma deuxième montée, à midi pour corrections, fut à pied et que j’ai pu retrouver ainsi… les défis de l’automne. Ma dernière journée avant le départ avait été consacrée aux écoulements des eaux puisqu’une grosse journée de pluie permettait d’espérer enfin les trombes tant attendues. Entre autres, j’avais débouché la rigole qui dessert les Chaumettes du bas. Et voilà que cette fois elle suintait un peu plus haut et de plus en plus fort sur la voie empierrée qu’on appelle romaine. Encore bouchée. C’est ainsi que mon mercredi fut pleinement actif, de la nuit au couchant. Et rayonnante puisque le soleil triomphait ici alors que les vallées s’embrumaient en dessous

Oui, défis de l’automne car le sol de l’hiver est gelé et ne permet plus ce genre de travaux. Il faut en profiter. Il faut en profiter ? Mes projets de jeudi en marché à Ambert sont passés à la trappe. J’ai été rattrapé par un autre drain, celui que j’ai fait pour relier les deux serves de mon pré.

Tout d’abord débroussailler pour bien voir et mieux travailler. Mais la débroussailleuse a sa propre logique et cette fois sa volonté a été plus forte que la mienne : peu à peu je me suis laissé piéger par le rêve… Puisque je suis dans le pré, pourquoi ne pas nettoyer un peu le recoin anciennement marécageux et qui s’est déjà un peu asséché ? J’ai commencé mais les abords de la serve haute m’attiraient trop : cela fait plusieurs années que je réfrène mon envie de l’aménager car il y a toujours plus urgent ; le retard de l’hiver m’offre l’occasion d’en faire un peu.

C’est ainsi que c’est plutôt le haut du pré que j’ai nettoyé, alternant la débroussailleuse avec la bêche. Avec la bêche parce que je n’ai pas résisté : les pieds dans l’eau et le cœur au soleil j’ai retracé un petit canal pour la circulation au milieu de près d’un mètre de tourbe qui remplit la serve.

De la tourbe ? Est-ce que ce serait bon pour un potager futur ? Et j’étais reparti dans mes délires, imaginant des terrasses à construire, cherchant souvenance des techniques incas pour avoir un fond drainant et une terre riche, avec la meilleure exposition au soleil…
Qu'est-ce que c'est ce truc informe? Plus c'est informe plus on peut rêver de le faire chanter à sa manière. Un jour, vous verrez...

Vous imaginez à quoi je songeais en apéro du couchant, en surplomb de cette serve ? Aux paysans d’Arménie et à leurs petits lopins dans la pente autour des maisons. J’en ai beaucoup parlé ces dernières semaines et c’est en songeant aux devenirs possibles de ces lopins que nous avons établi notre calendrier. Et voilà que je découvre soudain, chez moi, que c’est en automne que l’on apprête le terrain pour les semis de printemps !

A Las Fayas, le vendredi 25 novembre 2011

9. Couleurs et provisions sont les grâces de l’automne


Amis et voisins m’avaient prévenu: dés la fin octobre il peut, à n’importe quel moment, neiger de telle manière qu’il n’y aura plus d’accès routier pour tout l’hiver. L’urgence de monter les réserves vitales pour cette saison m’avait servi de prétexte pour une autre urgence : mes envies de goûter un peu les couleurs de l’automne dans mon ermitage. Ce fut une de mes rares exigences en septembre, à l’heure de concerter mon voyage au Caucase : être présent pour les derniers jours d’octobre.

Je ne suis rentré que le 19 octobre et je me suis senti frustré : les feux de l’automne n’avaient guère roussi les arbres ; ce n’était pas l’incendie attendu. C’est là que j’ai appris qu’à cette altitude le transit des pigments est très rapide ; d’ailleurs l’année trop sèche n’a pas aidé au chant des feuilles ; et puis… Mais le gel qui accompagnait mon arrivée promettait une évolution accélérée.

Je me suis donc consacré à acheter et transporter le plus indispensable: des vivres pour l’estomac; du combustible pour les poêles du corps ; du vin pour l’âme. Faut pas croire, ça prend du temps : qui sait ce qui importe le plus ? ; et combien ?

Il y a aussi les opportunités à saisir : avec mon voisin Jean-Baptiste nous avons encore acheté du bois pour garantir des maisons douces. Alors les tâches se multiplient ; tout monter ave la remorque ; couper à la taille du poêle ; ranger dans un coin sec, donc dans la grange-buron. Oh, ce ne furent pas énormément d’heures mais… j’ai acheté un chevalet de sciage et il m’a donc fallu un bon moment pour étudier les instructions, faire le montage (je ne me suis trompé qu’une fois !), apprentir son usage…

D’autant plus que la bête me permet de commencer à débiter tant de petites branches qui ne sont ni bonnes ni pratiques pour le poêle mais que, après tant d’années à voir des gens souffrir dans les Andes faute de bois de feu, je ne peux me résoudre à les laisser se perdre…

Sans parler des heures à adapter et protéger le fruit de mes travaux antérieurs. Arranger, transporter ou recomposer les divers tas provisoires de l’été m’a demandé beaucoup d’imagination et de temps. Mais quel orgueil quand finalement j’ai pris la photo du bûcher principal, du hêtre de cette année, placé sur ma nouvelle plate-forme, bien protégé par une bâche.

Finalement? En novembre l’automne s’est décidé à nous offrir quelques rigueurs, en vent et tempête cette fois. Oui, de vrais grands vents. Si grands qu’ils ont envolé ma bâche, ont dénudé mon bûcher et m’ont couvert de honte !

Les arbres aussi se sont dénudés. Mais, avant cela, oui j’ai pu réjouir mon être aux ardeurs de ses tableaux changeants.

 C’est ainsi que j’ai atteint mes buts: l’automne, des réserves pour l’hiver. Mon bûcher est à nouveau couvert. Mes dépôts sont pleins. J’ai tout vérifié avant de repartir pour le Caucase. C’est là que j’ai constaté l’abondance des apéros et digestifs engrangés peu à peu. Quelle horreur ? Allons ! Pour décrire mes journées en buron j’avais adopté le slogan : Matinées lyriques ; Après-midis physiques. Puis, un peu comme une blague, un peu par sincérité, j’avais ajouté : Soirées alcooliques. Alors, il faut bien que je m’exécute !

Original en espagnol à Erevan (Arménie), le dimanche 13 novembre 2011

samedi 22 octobre 2011

8. Le buron vu du Caucase


Le buron n’a pas que du bon ! En particulier pour préparer un voyage… C’est ce que je me dis et redis en cette dernière semaine en Géorgie. Car, coincé entre mon peu d’envie de délaisser La Zutterie (pour m’y pousser, il faut l’urgence de quelques courses ou surtout la perspective de retrouvailles lydylliques) et mon accès difficile et trop bref à l’internet, je n’ai guère vérifié, négocié ni préparé cette première virée de reconnaissance en Caucase.

C’est ainsi qu’hier matin je me retrouvais avec la perspective d’être enfermé trois jours (vendredi, samedi et dimanche) tout seul à l’hôtel à Tbilissi avant de reprendre l’avion dans la nuit de dimanche à lundi ! Enfin, si vendredi était férié j’avais quand même une réunion l’après-midi et un dîner sur paysage urbain au soir. Et puis, ce n’est que samedi en matinée que disparaîtrait mon « japonais » (non, ce n’est pas un jeu de mot facile, c’est la façon dont j’ai pu me souvenir rapidement du prénom de mon interlocuteur ici : il est hollandais et francophone, la seule personne avec qui j’aie pu parler longuement pendant ces semaines et partager des moments sympathiques, mais il s’appelle Jaap… drôle d’idée, non ?) Mais qu’il était dur de me motiver au réveil du vendredi !

Soudain survint l’illumination… Si j’ai l’habitude de circuler dans le monde sans bouger de mon buron, errant librement de souvenances en amitiés, je peux aussi procéder à l’inverse : errer du côté de La Zutterie sans bouger du coin du monde où je me trouve ponctuellement. C’est ce que j’ai fait.



Je me suis branché en Google Earth et j’ai dérivé pendant quelques heures. J’ai d’abord cherché Valcivières et l’ai trouvé… de suite. Puis j’ai situé et regardé le buron des Fayes tel qu’il était en janvier 2004, quelques mois avant que je ne l’achète. Alors je suis parti en balade, quêtant le Plateau des Egaux, Pégrols, les hauteurs de Monthallier, le toit à présent défoncé du buron que je contemple là-haut depuis chez moi.

Je me suis retrouvé en rando avec ma crapahuteuse sur les sentiers que nous avons déjà partagés, sur ceux qu’elle découvre sans moi et me raconte pour me motiver à sortir de mes bois, sur ceux que nous rêvons d’entreprendre quelque jour.



Fatigué par tous ces parcours, je suis revenu à mes propres visiteurs. J’ai tracé pour eux les chemins qui du Perrier conduisent à La Zutterie. J’ai situé le cyberburon qui, en témoin indispensable, les aide à comprendre la vie d’autrefois dans ces contrées. Je me suis émerveillé devant l’aura de l’énorme fayard tout proche que j’aime leur montrer quand la voie est libre.
Que c’est étrange ! Il a fallu une matinée en Géorgie pour que j’apprenne à mieux connaître les paysages qui m’entourent en Auvergne. C’est donc bien vrai : l’internet a du bon ! Mais sans exagérer : c’est en marchant qu’en ce samedi je me suis enfin lancé à la découverte de cette ville. Oui, c’est sûr, j’en suis rentré avec une ampoule au pied, ce qui ne me serait pas arrivé avec Google Earth… Mais le plaisir n’est pas le même non plus.

Le buron aussi a du bon. La preuve ? Il a fallu que j’y revienne pour être enfin capable d’y terminer ce petit billet. Les énergies que j’y ai retrouvées, alors que je ne suis ici que depuis hier, m’ont déjà dopé !

Tbilissi, le samedi 15 octobre, et La Zutterie, le vendredi 21 octobre 2011

dimanche 2 octobre 2011

7. De buron en Caucase


Depuis huit jours elles sont fermées les portes du buron. La mort dans l’âme j’ai procédé aux vidanges et autres mesures d’avant l’absence. La mort dans l’âme car il me fallait bien le quitter. Mais le cœur gai à l’idée de ce que j’allais découvrir : le Caucase.

C’est la première fois depuis un an que je sors de France. Installé de façon permanente aux Fayes depuis le solstice d’hiver, je rêvais d’y vivre un cycle complet, celui des quatre saisons. Il me manquera donc l’automne. Internet me permet de suivre le jour à jour du climat et la nostalgie ruisselle lorsque je vois l’accumulation des belles journées !

Retour à la syphilisation donc, comme disaient certains amis péruviens ! Les deux jours passés en Arménie ont été un choc : sans sortir de la capitale et logé au… Marriott pour cause d’hôtels remplis puisque l’on fêtait les vingt ans de la nouvelle république ; le contraste des styles et des rythmes a été dur ; mais finalement vivable car, quant aux rythmes, rien à voir avec l’agitation d’Europe occidentale.

Mais ça fait tout drôle d’essayer d’avoir des horaires, un programme ; de ne pas boire le premier café en pleine nature ; de se laver tous les jours ; de (faire semblant de) se préoccuper des habits à mettre ; de parler toute la journée au lieu d’écouter les oiseaux ; de devoir jouer à l’expert après tous ces mois où je ne fus qu’apprenti…
Jeudi, ce fut le voyage terrestre entre Erevan et Tbilissi en Géorgie. Le paysage assez aride de l’automne me rappelait les Andes et je ne me sentais point trop dépaysé. Vendredi et samedi, nous étions en visite de terrain, vers Kazbeghi, donc à quelques kilomètres de la frontière russe. Installés à 1700 mètres d’altitude. Le relief montagneux était celui des Andes, la végétation de bouleaux et sorbiers me rappelait les communaux au-dessus du buron ; je n’étais pas non plus dépaysé.

Les Andes, le buron… j’espère que peu à peu le Caucase va s’incorporer dans mon univers montagneux. La question des langues ne s’y prête guère. Je me sens autiste puisqu’aucune des miennes ne me sert ici ; un peu comme je l’étais à Trinidad et Tobago il y a quatre ans. Mais avec une grande différence : en dehors de la langue, tout me parle ici : les paysages, les gens, le type de défis à relever ; tout cela me donne beaucoup pour entrer au partage.

D’ailleurs, s’agissant de zones naturelles protégées, je me sens plus fort qu’autrefois puisqu’à présent moi-même j’habite en zone protégée : le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez…



Entre le 4x4 et la cravate,
quand on ne choisit pas,
ça finit mal!
Et puis, je vais vous avouer (j’avoue beaucoup depuis que j’ai ma fliquette…), en ce dimanche de repos j’ai trouvé un autre prétexte aux rapprochements : je me suis acheté du vin géorgien et en ce moment je goûte la première bouteille de blanc, le rouge sera pour ce soir ! Il faut bien que je connaisse : on m’a expliqué hier qu’historiquement le vin est originaire de Géorgie ; mon devoir est de retrouver les antécédents qui agrémentent ma vie au buron, les savoirs anciens qui ont donné lieu aux joies de notre vie d’aujourd’hui, les liens entre différentes époques et géographies. Je bosse !

 
Tbilissi, le dimanche 2 octobre 2011

mercredi 14 septembre 2011

6. De l’arbre au ciel

Il ne suffit pas d’un bon insert susceptible de profiter au mieux des calories du bois : sans bois de feu ça ne sert à rien !

Cet hiver je viens de découvrir le pourquoi de cette obsession qui inspire tant de blagues (« L’hiver sera rude : homme blanc fait du bois. ») et qui est une composante essentielle de la vie et du paysage en zones rurales d’Europe. La gestion des arbres à chauffage, avec les affouages, a été historiquement une occupation principale des organisations villageoises. De grandes réserves de bois, sous hangars ou en tas bien rangés à l’extérieur, entourent encore bien souvent les maisons.

Cet été je viens de découvrir combien de temps il faut consacrer à préparer les réserves pour l’hiver : ce fut mon activité prioritaire depuis la fin du printemps. En juin j’ai pu acheter enfin quelques troncs de hêtre, la meilleure espèce locale : il a fallu débiter, fendre, préparer un bûcher pour le ranger à l’extérieur afin qu’il sèche ; il a fallu reconstruire le tas mal fait que le premier grand vent avait écroulé (même pas le temps d’une photo en pied !)… Apprentissages, apprentissages…

C’est ainsi que l’été s’est concentré autour de l’aménagement d’une esplanade où stocker les provisions pour les hivers suivants (il faut prévoir deux ans d’avance !). Comme je n’ai pas de terrain plat et que j’ai appris la différence entre monter ou descendre avec une brouette de bois, j’ai passé mon temps à décaisser une terrasse suffisante dans la pente supérieure. Pic, pelle et brouette ont été mes compagnons les plus présents de tout l’été.

Il restait un autre défi : supprimer le gros érable et l’énorme épicéa qui faisaient de l’ombre à cette terrasse tout en menaçant mon toit et en volant en hiver plus d’un tiers de l’ensoleillement de mes panneaux solaires. Seul je ne pouvais pas. Trop dangereux. Pour moi et pour le toit.

Août : surgit alors un inconnu, fils d’un paysan du Perrier. Il venait livrer des billes de hêtre à mon voisin. Il a accepté de m’en vendre quelques-unes. Je lui ai parlé de mes deux cauchemars : le lendemain il apparaissait avec son tracteur et sa tronçonneuse ; en vingt minutes ils étaient à terre.

Il s’appelle Gilles. Je cite son prénom parce que, sans le savoir, il est devenu un de mes « faiseurs » de buron. ¿A cause de deux arbres abattus ? Non : il m’a offert le ciel !

Mon toit ? Mes panneaux solaires ? Mon bois à sécher ? Bien sûr, ils sont importants. Mais, même si je devinais le changement, j’ai été stupéfié par la transformation de mes horizons et de ma vie quotidienne…

L’espace devant la façade sud était sombre et étroit, sorte de couloir peu alléchant coincé par la pente et les arbres. Chaque fois que je pouvais : pioche, pelle et brouette afin de l’élargir et l’ouvrir un peu. A présent j’ai là un nouvel espace à vivre. Depuis la fenêtre de la salle de vie en pavillon, la lumière s’est multipliée. Depuis la porte je peux voir le ciel sans craindre de torticolis. Depuis les communaux à myrtilles, à l’est, au-dessus de la vieille voie empierrée qui borde mon terrain, je peux voir en même temps tout le buron, les monts proches et un large ciel.


C’est ainsi que, depuis quelques jours, le recoin de communaux qui ne servait que de parking et de dépôt de troncs est devenu un de mes repaires préférés : c’est là que j’aime m’assoir en café du matin, en pause tabac, en apéro du soir, et que je me ré-crée en nouvel horizon qui s’est ouvert !

Les Fayes, le mercredi 14 septembre 2011